« Fermes les yeux, non allez, fermes les yeux pour de vrai ! Tu triches pas, tu triches pas hein ? TU TRICHES, je t'ai vu ! » Lilly-May, haute comme trois pommes et demie à l'époque, âgée tout juste de 4 ans, tenait la main de sa mère dans la sienne, l'entraînant jusqu'à sa chambre. « C'est une surprise Maman, tu vas voir c'est trooooooop beau. » Toute mère normale aurait hurlé en voyant l'état de la chambre, à peine toute faite, redécorée par la petite dernière des Eidan-Blyth. Elle avait dessinée après les murs des chats, des maisons, plusieurs petites familles, ... Le hic, c'est que justement, sa mère elle était tout sauf normale, mais jamais elle ne s'en serait plaint. C'était son quatrième noël, et Lilly avait décidé de dessiner après les murs pour rester éveiller et ainsi pouvoir surprendre le père noël, finalement elle avait été tellement prise par ses dessins qu'elle avait oublié l'homme à la barbe blanche.

« Je te préviens. Ici, il n'y a rien de normal, rien de clinquant comme chez toi, les lustres ne brillent pas, les tapis ne sentent pas bons, les traces de pas ne sont pas effacées aussitôt qu'elles sont faîtes, d'ailleurs tu peux garder tes chaussures, mon chat n'a pas un nom à particule, je ne me marierais jamais avec mon cousin, je sais d'ailleurs même pas comment il s'appelle, mon cousin. Je vis avec ma grand-mère, elle est folle, tout comme mon père, tout comme ma mère, tout comme mon frère, et tout comme moi, d'ailleurs tout comme toi même si tu ne le sais pas encore. Ma grand-mère s'appelle Granie, enfin c'est comme ça que je l'ai toujours appelé et que tout le monde l'appelle. C'est elle qui a fait mon éducation, c'est elle qui a été là le plus souvent auprès de moi, c'est elle qui a bordé mon lit le soir, c'est elle qui m'a appris des comptines à chanter dans mon bain, c'est elle qui me couvrait quand je rentrais tard le soir et c'est elle qui m'a appris à avoir les mains aussi agiles. Ma grand-mère était une voleuse, quand elle avait mon âge, mais d'ailleurs elle l'est encore, c'est d'ailleurs pour ça qu'elle s'est fait virer de la maison de retraite, elle avait piqué une seringue aux infirmières pour pouvoir faire une petite blague à son voisin de chambre. Alors, tu veux toujours entrer ? Tu veux toujours savoir qui je suis ? »
Granie, je n'ai pas pû te le dire en face. J'espère que tu ne m'en voudras pas. Je suis en train de faire mes affaires, toute à l'heure je prendrais mon sac à dos et cette petite valise que j'ai préparé dans l'après-midi. Oui, j'ai menti, je ne travaillais pas. Toute à l'heure, je descendrais, je croiserais papa et maman, je sais que tu ne seras pas là car tu vas toujours faire une promenade avec la voisine à cette heure-là et puis je claquerais la porte, je leur dirais que j'en ai marre, qu'ils ne comprennent rien parce que c'est plus simple de partir en criant qu'en pleurant, tu sais. Au final, je pleurais quand même mais il sera trop tard. Je serais dans sa voiture. Tu sais, je t'avais parlé de lui, Andreas. Il m'a demandé de venir avec lui, road trip dans les USA, c'était alléchant comme idée, je veux connaître la vie extérieure et puis je l'aime, oh si tu savais comme je l'aime. Je reviendrais, dans un an, deux ans, trois peut être et alors, tout ira pour le mieux, je serais peut-être mariée, qui sait. Si nous allons à Las Vegas, je pense qu'il demandera ma main, il m'aime tout autant que je l'aime, tu sais. Je t'embrasse, n'aies pas peur pour moi, veilles bien aux parents et à Chat.
Lilly-May. lettre laissée sur son bureau avant de partir pour sa grand-mère.

Springfield, Etats-Unis. C'était là. Là, que tout avait commencé. Elle se souvenait encore de tout, de cette petite maisonnette où ils avaient l'habitude de venir jouer, de cette boulangère, un peu trop grosse, qui pourtant avait le cœur sur la main et offrait un pain au chocolat à chaque gamins qui venait chercher le pain de lui-même, ce vieil homme qui avait vécu la guerre, qui s'asseyait toujours à la même place, en face de l'Eglise, et qui racontait des tonnes d'histoires extraordinaires et passionnantes. Elle avait encore en tête ces éclats de rire, le vrombissement du moteur lorsque son père démarrait la vieille 2cv qu'il avait gardé, en souvenir du bon vieux temps, l'air de jazz qui tournait en boucle et sur lequel sa mère dansait, l'entraînant dans ses bras. Tout était là et pourtant, tout avait changé. Regardant une dernière fois le village, elle remonta dans sa voiture jusqu'au lac. La maison était là, elle n'avait pas bougé. D'extérieure on aurait pu croire que c'était toujours la même. Elle courut, poussant la porte toujours ouverte. A l'intérieure, il faisait frais, l'odeur d'encens avait été remplacé par celle du renfermée, on ne voyait que très mal et elle sursauta lorsqu'elle sentit un courant d'air contre sa jambe alors qu'un chat prenait la fuite par la porte. Le vide. Elle passa ses doigts sur les vieilles photos, laissant une trace nette parmi les petites particules de poussières et alla s'asseoir dans le vieux fauteuil de cuir tout fripé, puis elle s'assoupit. Elle fut réveillée en sursaut par une petite voix, fluette, faible, qui avait l'air de peiner à se faire entendre. « Lilly ? Lilly, c'est toi ? » Elle sourit alors, d'un sourire tendre, se voulant rassurant. Elle, elle n'avait pas changé. Elle avait toujours ses mêmes petites rides au coin des yeux, ses mêmes cheveux gris et frisés, ses mêmes petits yeux cachés derrière ses lunettes toujours en train de s'agiter. « Oui, c'est moi Granie. » La vieille femme lui servit une tasse de café, qu'elle ne but pas au final, il était infecte, beaucoup trop corsé et avait traîné bien trop longtemps dans le placard, un cafard flottant à sa surface, mort dans sa tasse. « On revient toujours à Springfield, sinon c'est que l'on meurt, alors je savais que tu reviendrais. Je leur avais bien dis, mais aucun des deux n'a voulu me croire. » Ils étaient partis, tous les deux, en même temps. Il l'avait laissé là, toute seule, à devenir un peu folle, un peu gaga, la vieille femme aux chats. Lilly se releva, puis prit un gros album photo avec son prénom inscrit sur la tranche. En l'ouvrant, elle toussa légèrement, la poussière étant enfin libérée après plusieurs années. Elle sortit une des photographies. Ils semblaient heureux, là, tous les trois, son père, sa mère et elle. A présent, il n'y avait plus qu'elle, elle et la vieille dame. Deux mois auparavant, ils avaient entrepris tous deux un voyage, ils n'étaient jamais revenus. Personne ne sut s'ils étaient morts ou s'ils avaient fuis la routine et son souvenir, ici, à Springfield mais personne ne les revit plus jamais. C'est pour cela qu'elle était rentrée. Elle avait pensée à elle, à cette vieille femme qui finirait sinon sa vie toute seule. Alors elle était rentrée, elle avait arrêté son voyage et elle était revenue là où tout avait commencé, là où elle était née, là où elle avait passée les premières années de sa vie. Soudain, la musique de jazz redémarra, et Granie, comme elle l'appelait plus petite, vint prendre les deux mains de sa petite-fille pour la faire danser. « Je m'ennuyais, toute seule, ici. La maison est drôlement vide, à présent, mais tu vas m'aider, n'est-ce pas Lilly ? » Elle acquiesça. Les jours qui suivirent furent épuisants. Elle nettoya tout, aucune pièce n'y échappa. Elle mit dans de gros cartons les vieilleries qui ne servaient à rien, rangea la chambre de ses parents et la ferma à clé, arracha le papier peint de sa chambre qui était encore rose et recouvert des dessins qu’elle avait fait plus jeune, et le remplaça. Puis elle donna une seconde vie à chacun des meubles, les lustrant, polissant, vernissant, peignant. Puis elle s'affala dans ce même fauteuil en cuir vieilli où elle s'était assise le premier jour de son retour et s'endormit pendant un jour complet. Le lendemain, elle eut le droit à une visite qu'elle espérait avoir depuis qu'elle était revenue. Elle, sa cousine, cette fille qui l'avait accompagné dans chacune de ses bêtises, qui l'avait toujours soutenu, elle qui avait réussi à la motiver à partir cinq ans auparavant. Alors, elle lui raconta, tout. Tout ce qui c'était passé durant les cinq dernières années. Elle n'omit rien. Elle lui raconta comment elle s'était réveillée un matin, dans un motel, seule, lui étant parti, ne lui laissant qu'un gros billet et un petit « Désolé, je reviendrais. », comment elle était partie, montant dans la voiture d'une jeune femme seule qui avait dormi elle aussi au motel, comment elles s'étaient rapprochés, confiées, comment elles s'étaient aimées un soir, puis deux, puis trois. Et puis finalement, comment elles s'étaient quittées, car le bonheur n'est pas fait pour durer. Alors elle était partie à nouveau, elle s'était arrêtée quelques temps dans un petit village, elle avait alors travaillé passant des coups de balais ci et là, servant de vieux pervers bourrés le soir. Elle avait alors amassé assez d'argent pour s'acheter un vieux tas de ferraille et elle avait alors continué. S'arrêtant les soirs dans un nouveau motel ou bien dormant dans sa voiture. Elle s'était promis une chose, ne pas s'attacher et pour cela, elle ne restait pas plus de trois jours dans le même village. Puis un jour, alors qu'elle était dans l'Idaho et qu'elle s'était arrêtée dans un bar, elle vit cette annonce aux informations, un couple de Springfield était parti et avait disparu. Eux, ses parents. Alors elle était revenue, et deux semaines plus tard elle était chez elle. « Voilà, tu sais tout. »