Cela fait plusieurs mois que la réservation est lancée. Le grand et talentueux Fury sera à la guitare ce soir, mesdames et messieurs. Et tu entends les clameurs du public qui sans le moindre doute se moqueraient de toi s'ils avaient la moindre idée de ton égo déplacé. Car nul ne veut de toi, Edwin. Et cela fait bien longtemps, toujours peut-être, que ta musique n'est pas reconnue à sa juste valeur. Là est bien ta détresse, là est ta douleur.
L'estrade est nauséabonde, sombre, sinistre, telle est l'ambiance ce soir du Poppa Wheelie's. Pourtant, tes pas te guident naturellement vers cette dernière ancre, là-haut, cette guitare qui t'admire, dernier trésor qui frissonne entre tes doigts experts. Et la musique retentit. Tu frémis. La transe t'anime, tes yeux s'illuminent, et plus rien d'autre ne compte. Next les poivrots qui gâchent de leurs voix vicieuses la douce mélodie qui emporte cette sale vers d'autres contrées oniriques. Next les gros seins de la serveuse qu'autrefois tu reluquais avec avidité. Tout cela te semble loin, désormais, à des années lumière de tes doigts qui se déchaînent sur les cordes fragiles et scintillantes.
Et lorsque la musique s'éteint, lorsque la dernière note, doucement, retentit, se fracasse contre les choppes de bière qui engraissent le bar, c'est la magie qui disparaît par les fenêtres du taudis entrouvertes. Cette magie qui s'enfuit en volutes de fumée dans les dernières rayons de lune de la soirée.
Ton regard s'émeut de ce retour à la réalité.
La violence qui t'assaille, coup entre les côtes.
Tu te tordrais de douleur devant l'absolue mutisme de la foule, devant leur désintérêt pour toi, pour ta musique, et tu te sens si seul emporté par la magie. Ce sont tous des incroyants. Tu cracherai sur leur dénuement.